jeudi 14 mars 2019

Adam et Eve croquent la vague sur Instagram, part 3


Uniformisation durable


Le terme même de "développement durable" sert de caution à l'implantation d'une économie touristique dans des pays ou des zones qui en étaient préservées, puisque le côté durable justifie et absout le côté développement.

Était-il bon que Bali devienne ce qu'elle est devenue ? Le tourisme y a créé des milliers d'emplois (l'industrie du sexe y est prolifique), défiguré le visage du paradis, pollué les plages, fait flamber les prix de l'immobilier, le développement n'y a guère été "durable". La question qu'il faut se poser : est-ce que ces bouleversements environnementaux, socio et économiques vont améliorer le sort des populations autochtones sur le long terme ? Est-ce que l'humain, au vu de sa capacité de nuisance, doit être placé au centre de toutes les politiques ? Ne faut-il pas protéger ce qui peut l'être encore ? Le développement durable offre un profil séduisant, mais il conduit souvent à une folklorisation des cultures : ainsi, nombre d'éco-villages deviennent des centres d'attraction. L'île de roseaux sur le lac Titicaca en est une des nombreuses déclinaisons, ses habitants tels des animaux de foire, visités par des nuées de touristes, vivent dans un décor qui n'a plus rien d'authentique.

Bernard Brunel pose un bilan négatif du développement touristique dans les pays du Sud, dans ce court article : La panacée touristique creuse les écarts.

Partout dans ces paradis perdus, il y eut le premier petit surf écolodge (avant même que le terme existe), tenu par un expatrié. Avec parfois l'excuse du "si ce n'est pas moi qui le fait, ce sera un autre". A présent, on a des plages entièrement tapissées d'hôtels et de restaurants, de boutiques et de clubs. Il est illusoire de penser qu'une position de monopole commercial va perdurer. Toujours, des personnes sans scrupules, avides de profit, vont exploiter les ressources du lieu et transformer la beauté naturelle en un masque de vulgarité, une poupée trop fardée.

En France, la loi littoral interdit de bétonner la côte aquitaine en bord de mer. La forêt de pin y est la forêt artificielle la plus grande d'Europe. Artificielle certes, puisqu'elle est gérée par des sylviculteurs, mais où trouve-t-on encore une forêt naturelle, non exploitée par l'homme ? Ainsi, les bords de l'Adour, le fleuve qui traverse les Landes pour aller se jeter à Bayonne, sont-ils plus luxuriants que les berges du fleuve Amazone entre la Colombie et le Pérou. La quête de la forêt primaire est un rêve de plus en plus lointain. Voyager nous rapproche chaque jour un peu plus de chez nous puisque notre modèle socio-économique devient le modèle global, transformant paysages et modes de vie.

A l'image de toute forme d'industrie, la culture surf tend à se reproduire à l'identique partout à travers le monde. Or, l'acte de surfer n'a pas besoin de s'enfermer dans la reproduction de clichés, de modes qui rendent les lieux désespérément interchangeables. Le surf tend à devenir un sport de masse, les moyens de communication relient tous les points de la terre, trouver une destination surf sans ses hordes de surfeurs et les stéréotypes de la culture surf devient extrêmement difficile.
D'où l'émergence de surf movies ayant pour cadre les pays scandinaves. Seul le froid protège ces lieux de la foule, ils sont la dernière frontière. 

La vague, une denrée rare


Pour tout surfeur en quête d'absolu (ce qui est un peu l'essence du surf), les spots vierges ou méconnus sont des lieux à préserver à tout prix, au sacrifice de son égo et de ses prétentions entrepreneuriales. Aussi est-il désespérant de voir des lieux encore confidentiels et préservés du surf de masse devenir en l'espace de quelques saisons des supermarchés du surf à cause de quelques égocentriques des réseaux sociaux : était-il vraiment indispensable, pour illustrer ses vacances de surf, d'indiquer précisément la localisation du spot sur son compte Instagram ou sur une page facebook telle que Hossegor Crew (qui draine des milliers de surfeurs) ? Ou de se démarquer de ses concurrents en faisant du business sur le dernier secret spot, via des cours de surf, la publication de guides détaillés des spots de surf ou la production de vidéos de surf ?

Qui ne s'est pas retrouvé sur une plage à l'autre bout du monde, Nias, Mirisa, Immesouane, nez à nez avec les surfeurs de sa ville, de son village (Hossegor, Lacanau, Anglet) ? Quel intérêt de partir si loin pour se retrouver avec ses congénères ?

La vague tant convoitée est devenue une denrée rare, il faut la chérir et la préserver, penser aux autres routards qui passeront après nous et seront heureux de découvrir à leur tour une nature vierge et préservée de toute industrie.

Adam et Eve se comportent comme deux ingénus, se balader en short au paradis ne leur suffit pas, il faut qu'ils ruinent tout en saisissant le fruit défendu de leur smartphone Apple.


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