Uniformisation durable
Le terme même de "développement durable" sert de
caution à l'implantation d'une économie touristique dans des pays ou des zones
qui en étaient préservées, puisque le côté durable justifie et absout le côté
développement.
Était-il bon que Bali devienne ce qu'elle est devenue ? Le
tourisme y a créé des milliers d'emplois (l'industrie du sexe y est prolifique),
défiguré le visage du paradis, pollué les plages, fait flamber les prix de
l'immobilier, le développement n'y a guère été "durable". La question
qu'il faut se poser : est-ce que ces bouleversements environnementaux, socio et
économiques vont améliorer le sort des populations autochtones sur le long
terme ? Est-ce que l'humain, au vu de sa capacité de nuisance, doit être placé
au centre de toutes les politiques ? Ne faut-il pas protéger ce qui peut l'être
encore ? Le développement durable offre un profil séduisant, mais il conduit
souvent à une folklorisation des cultures : ainsi, nombre d'éco-villages
deviennent des centres d'attraction. L'île de roseaux sur le lac Titicaca en
est une des nombreuses déclinaisons, ses habitants tels des animaux de foire,
visités par des nuées de touristes, vivent dans un décor qui n'a plus rien
d'authentique.
Bernard Brunel pose un bilan négatif du développement
touristique dans les pays du Sud, dans ce court article : La panacée touristique creuse les écarts.
Partout dans ces paradis perdus, il y eut le premier petit
surf écolodge (avant même que le terme existe), tenu par un expatrié. Avec
parfois l'excuse du "si ce n'est pas moi qui le fait, ce sera un
autre". A présent, on a des plages entièrement tapissées d'hôtels et de
restaurants, de boutiques et de clubs. Il est illusoire de penser qu'une position
de monopole commercial va perdurer. Toujours, des personnes sans scrupules,
avides de profit, vont exploiter les ressources du lieu et transformer la
beauté naturelle en un masque de vulgarité, une poupée trop fardée.
En France, la loi littoral interdit de bétonner la côte
aquitaine en bord de mer. La forêt de pin y est la forêt artificielle la plus
grande d'Europe. Artificielle certes, puisqu'elle est gérée par des
sylviculteurs, mais où trouve-t-on encore une forêt naturelle, non exploitée
par l'homme ? Ainsi, les bords de l'Adour, le fleuve qui traverse les Landes
pour aller se jeter à Bayonne, sont-ils plus luxuriants que les berges du
fleuve Amazone entre la Colombie et le Pérou. La quête de la forêt primaire est
un rêve de plus en plus lointain. Voyager nous rapproche chaque jour un peu
plus de chez nous puisque notre modèle socio-économique devient le modèle
global, transformant paysages et modes de vie.
A l'image de toute forme d'industrie, la culture surf tend à
se reproduire à l'identique partout à travers le monde. Or, l'acte de surfer
n'a pas besoin de s'enfermer dans la reproduction de clichés, de modes qui
rendent les lieux désespérément interchangeables. Le surf tend à devenir un
sport de masse, les moyens de communication relient tous les points de la terre,
trouver une destination surf sans ses hordes de surfeurs et les stéréotypes de
la culture surf devient extrêmement difficile.
D'où l'émergence de surf movies ayant pour cadre les pays
scandinaves. Seul le froid protège ces lieux de la foule, ils sont la dernière
frontière.
La vague, une denrée rare
Pour tout surfeur en quête d'absolu (ce qui est un peu
l'essence du surf), les spots vierges ou méconnus sont des lieux à préserver à
tout prix, au sacrifice de son égo et de ses prétentions entrepreneuriales.
Aussi est-il désespérant de voir des lieux encore confidentiels et préservés du
surf de masse devenir en l'espace de quelques saisons des supermarchés du surf
à cause de quelques égocentriques des réseaux sociaux : était-il vraiment
indispensable, pour illustrer ses vacances de surf, d'indiquer précisément la
localisation du spot sur son compte Instagram ou sur une page facebook telle
que Hossegor Crew (qui draine des milliers de surfeurs) ? Ou de se démarquer de
ses concurrents en faisant du business sur le dernier secret spot, via des
cours de surf, la publication de guides détaillés des spots de surf ou la
production de vidéos de surf ?
Qui ne s'est pas retrouvé sur une plage à l'autre bout du
monde, Nias, Mirisa, Immesouane, nez à nez avec les surfeurs de sa ville, de
son village (Hossegor, Lacanau, Anglet) ? Quel intérêt de partir si loin pour
se retrouver avec ses congénères ?
La vague tant convoitée est devenue une denrée rare, il faut la chérir et la préserver, penser aux autres routards qui passeront après nous et seront heureux de découvrir à leur tour une nature vierge et préservée de toute industrie.
La vague tant convoitée est devenue une denrée rare, il faut la chérir et la préserver, penser aux autres routards qui passeront après nous et seront heureux de découvrir à leur tour une nature vierge et préservée de toute industrie.
Adam et Eve se comportent comme deux
ingénus, se balader en short au paradis ne leur suffit pas, il faut qu'ils
ruinent tout en saisissant le fruit défendu de leur smartphone Apple.
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