Extrait de la conférence tenue par le
Professeur Pancake, éminent spécialiste de la géopolitique du surf, le
mardi 10 septembre 2013, dans un bouge de Sibolga (Sud Sumatra).
Certains de mes détracteurs disent de
mon travail : « La vision que nous offre Pancake du monde et de ses
soubresauts ressemble à la vision qu'aurait pu en avoir un organisme
monocellulaire ayant traversé les âges jusqu’à nos jours ». Et je leur
dis merci car je revendique cette vision hédoniste du monde, la vision
d’un surfeur en réalité.
Cette
conférence aura donc pour but de déterminer quelles périodes furent les
plus propices à la pratique du surf, et ce depuis l'origine du monde.
Projet à la fois futile et ambitieux, certes, si l'on considère que
l'homme dans sa version actuelle est apparu il y a seulement 200.000 ans
quand la terre existe depuis 4,5 milliards d'années. Toutefois, dans un
futur proche, lorsque les voyages spatio-temporels auront été mis au
point par la science et commercialisés par quelque tour operator, cette
conférence pourra servir de base à l'exploration de nos rivages
primitifs.
Je
passerai donc rapidement sur la formation de notre planète il y a 4,5
milliards d’années, le chaos primordial, une planète incandescente dont
le noyau de fer en fusion créa le champ magnétique qui empêche à ce jour
la plupart des astéroïdes de bombarder la Terre. Mais pas tous puisque
la rencontre d’un astéroïde de la taille d’une planète devait :
- Dévier l’axe de la Terre, provoquant une inclinaison de 23°5, responsable de nos variations de saisons.
- Augmenter sa masse et lui arracher un morceau d’elle-même que nous nommons la lune.
Toutefois,
les collisions s’espacèrent, la surface terrestre commença à se
refroidir et les gaz émis par la fusion des roches terrestres
commencèrent il y a 4,2 Milliards d’années à tomber en pluies. La
surface refroidit pour former la croûte terrestre et les océans
naquirent.
Acides
et gaz toxiques constituaient alors un milieu peu propice à la pratique
des activités de plein air ! Les bases étaient néanmoins posées : la
rotation de la terre et les variations de températures, l'action de la
lune et du soleil sur les cycles des marées, les courants maritimes et
les phénomènes de basses et hautes pressions à l'origine du vent et de
la houle !
Clin d’œil au mythe grec du premier homme façonné dans l’argile, les
scientifiques pensent en effet que c’est dans l’argile que la vie
naquit il y a 3,8 Millions d’années : dans des roches poreuses en
contact avec des sources d’eau chaude, se concentrèrent des acides
aminés et molécules qui par transformation chimique donnèrent une
cellule composée d'une chaine ADN. La cellule primitive se dota ensuite
d'un noyau et put créer des groupements de cellules.
Les
premiers êtres vivants sont des bactéries et algues primitives, qui
apprirent à capter l’énergie du soleil pour produire de l’oxygène. Ce
dernier, saturant les océans, s’échappa pour créer l’atmosphère. Le
sea, sex and sun était né dans sa version primitive, c'est à dire sans
le sexe.
Quelques repères :
1,3 milliard d'années, apparaissent les premiers organismes multicellulaires.
500 millions d'années, ce sont les premiers animaux sous la forme de mollusques et coraux.
400 millions d'années, les algues évoluent pour sortir de l'eau et créer les premières plantes.
300 millions d'années, apparition des insectes, reptiles et amphibiens. La vie s'aventure hors de l'eau.
Créature amphibie de la mangrove , le periophthalmus, îles Salomon
Par ailleurs, la dérive des continents
occasionna des bouleversements géologiques, géographiques et climatiques
de très grande ampleur. Ainsi, voici à quoi ressemble la terre il y a
1100 millions d'années :
Il y a
750 millions d'années, la Rodinia se scindait en 8 continents qui se
rassemblèrent près de l'Equateur, les températures globales chutèrent à -
50°, seuls les micro-organismes marins vivant près de sources chaudes
océaniques survécurent. Les océans se couvrirent de glace.
Puis,
l'activité volcanique, en libérant du dioxyde de carbone dans
l'atmosphère pendant 10 millions d'années, mit un terme au cycle des
glaciations et inversa la tendance climatique puisque les températures
montèrent jusqu'à 50°. Le climat se normalisa et la dérive des
continents créa des conditions propices à la diversification des formes
de vie sur terre.
Un
voyage temporel surf devient donc envisageable avec néanmoins une ou
deux petites périodes à éviter, notamment celle qui s'étend de 250 et 65
millions d'années et correspond au règne des dinosaures avec pour
apogée un cataclysme d'origine astéroïde ou volcanique.
290
millions d'années, les continents n'en forment de nouveau plus qu'un
seul, nommé Pangée. Hossegor se trouve au milieu des terres, casquettes
en berne. Encore 200 millions d'années jusqu'à nos jours pour que les
continents se séparent à nouveau pour former la carte actuelle des
continents.
Et voici qu'il y a 4 millions d'années, l'ancêtre australopithèque
apparaît. L'homo erectus utilise des outils pour chasser, voyage en
tribu, apprend à maîtriser le feu. Puis il se sédentarise, invente
l'agriculture et l'élevage et cet apogée préfigure son lent déclin :
guerres de classe, guerres de territoire, guerres économiques.
Résultat,
tout au bout de son évolution, l'homme du futur n'est plus capable de
planter un clou, de lire une carte routière ou de faire pousser une
salade.
Par des
signaux de fumée ou jeux de drapeaux, l'homme était capable de délivrer
des messages d'une grande complexité. A présent, il lui faut dix SMS
pour donner un simple rendez-vous.
L'homme
du futur n'utilise plus qu'un ou deux doigts d'une seule main. De même
que le pied de l'homme singe s'est atrophié au fil du temps à cause de
son mode de vie nomade, il n'est pas exclu que la main de l'homme du
futur rappelle celle de E.T., marquée par la proéminence de l'index. Ne
dit-on pas que la science-fiction est souvent visionnaire ?
Par conséquent, si je dois retenir de ces derniers millénaires une seule
invention, ce sera celle du surf. Car si la glisse n'est pas l'apanage
de l'homme, d'autres espèces étant plus douées dans le milieu aquatique,
ce dernier a su toutefois inventer des outils pour glisser à la surface
des vagues. C'est l'invention la plus inoffensive et salutaire du monde
: le surf est un culte de la nature, un hédonisme en action, une
ivresse des sensations, une imitation des prouesses du monde animal, une
recherche de symbiose plutôt que de compétition.
Dater
l'invention du surf est malaisé. Il y a 300 ans au moins, le surf
existait déjà dans les cultures polynésiennes et se pratiquait debout
sur de longues planches en bois. La planche et l'habileté à la manier
étaient objets de prestige social. De nos jours dans des contrées
isolées du Pacifique, telles les îles Salomon, certains peuples côtiers
surfent les vagues en pirogue ou à plat ventre en tenant de courtes
planches à bout de bras. Ces tribus n'ont pas attendu l'arrivée de
l'homme blanc pour surfer, ils le font déjà probablement depuis des
siècles.
Le surf
en Polynésie était jadis à la fois objet de culte et de plaisir, ce qui
dans la religion chrétienne était tout à fait antinomique et même
blasphématoire. Pratique païenne, le surf connut donc un âge sombre
quand les colonisateurs européens en interdirent l'usage et ce n'est
qu'au début du XXème siècle que sa pratique, redécouverte, se répandit
progressivement à travers le monde.
Clin
d'œil aux frasques passées de la religion : dans un village des îles
Salomon où les jeunes surfent aujourd'hui des planches en tiges de
palmier, la communauté anglicane voit parfois d'un mauvais œil ces
amusements, surtout s'ils ont lieu le jour du Seigneur et j'ai vu la
pratique du surf y être interdite plusieurs jours aux enfants. Dans un
autre village, le prêtre me faisait la gueule parce que j'avais surfé le
dimanche en entrainant tous les jeunes à ma suite.
Le surf
en tant que pratique hédoniste porte atteinte à la morale religieuse et
conservatrice, ce qui explique qu'aujourd'hui encore, les surfeurs
puissent être, sans doute pas diabolisés, du moins victimes de préjugés
dégradants.
La
réalité moderne du surf montre pourtant que tous les milieux sociaux
surfent, toutes les confessions, toutes les sensibilités. Et le
mouvement des Christian Surfers illustre bien ce point de vue : le
surfeur ne se résume pas à l'image d'un drogué hippie.
Je situerais donc la Genèse du surf contemporain entre 1900 et 1980,
période de recherche et de découverte dans le surf mais aussi dans la
société. La vague 68 qui avait pris naissance aux USA vint lécher, certes en petits clapotis, d'autres rivages mais n'en changea pas moins les mentalités : contestation de l'ordre établi, culte de l'amour et de la
paix, recherche de l'évasion par le voyage, le chamanisme et les
cultures orientales, retour vers la nature dont le naturisme fut un des
aspects.
Pour un
surfeur, le monde était alors une longue plage vierge où découvrir des
vagues et d'authentiques communautés côtières, comme aux temps de la
Pangée, le vaste continent terre réunifié. C'était un lieu de partage et
d'expérimentation. Les années 50-70, grâce aux progrès des moyens de
communication, représentent sans nul doute un âge d'or du surf. Depuis
lors, de nombreux paradis du surf ont disparu sous le béton.
Comment
ne pas trouver bien fade en comparaison notre actualité de surfeurs :
les plages vierges sont devenues des stations balnéaires, le surf s'est
transformé en sport de masse, les vagues sont consommées comme des
pancakes, le surfeur ressemble de moins en moins à un aventurier.
Mais il
n'est pas dans la nature humaine de se laisser envahir par l'amertume.
Sa faculté d'adaptation amène le surfeur à savourer d'autant plus la
magie de ce sport exigeant : il faut certes composer avec des
pratiquants de plus en plus nombreux, voyageur il doit s'enfoncer de
plus en plus loin pour trouver the Wild, le sauvage, l'esprit pur de la
nature mais la satisfaction n'en est que plus intense. Grâce au surf, il
lui est encore possible d'échapper à la marche inexorable des sociétés
humaines, ne serait-ce que l'espace d'un court moment ! De l'or liquide
coule toujours entre les doigts du surfeur.
Nias, Lagundri, octobre 2001
Les
lieux de pratique tendent à se réduire du fait de la surpopulation des
spots, est-ce pour cela qu'à l'image des gratte-ciels, la pratique du
surf est entrée dans une dimension aérienne avec toutes ces figures
inspirées du skateboard ?
Ce sera l'objet d'une prochaine conférence, le 15 juin 2014, à l'occasion du Festival de la Tourtière de Peyrehorade.
Merci de m'avoir écouté.
Pr. Pancake
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