Origines du localisme
Le localisme surf, qu'est-ce que
c'est ? Le hot local est un natif ou un habitant du cru, qui devant
l'augmentation du nombre de pratiquants surf, développe une attitude
protectionniste de type "esprit de clocher". Peu de sports génèrent
ce comportement que l'on retrouve généralement dans des activités de terroir où
des individus entrent en compétition sur un lieu de cueillette de champignons,
de chasse ou de pêche.
Pourtant, le surf est loin d'être
une activité de terroir, de même que les activités balnéaires dans leur
ensemble, phénomène contemporain. Arrivé en France dans les années 1950, le
surf reste un sport marginal jusque dans les années 1980-90.
A titre de comparaison, cette discipline existait
à Hawaï bien avant 1778. Les peuples polynésiens ont entretenu jusqu'à ce jour
un lien de symbiose avec l'océan, une culture que le colonisateur chrétien avait
étouffée pendant plusieurs siècles. Jusqu'à ce que des marginaux américains,
surnommés "les clochards des plages", redécouvrent le surf au début
du XXème siècle, prémices d'un renouveau puis d'un rayonnement mondial de la
discipline : les Etats-Unis, l'Australie, le Brésil, le Pérou qui a lui aussi connu
le surf bien avant les Français.
A l'instar de la vague qu'il
chevauche, ce sport surfe sur des tendances culturelles venues d'ailleurs.
En France, les entreprises du "surf wear" et médias spécialisés ont
revisité l'histoire du surf français en lui transposant son modèle californien.
Dès lors, un phénomène d'acculturation puissant façonne la vision qu'en ont ses
pratiquants. Le surf devient ainsi un merveilleux fourre-tout destiné à vendre
du rêve, on y met jusqu'à ce jour :
- la contre-culture de la beat-generation ;
- la figure mystifiée des Tontons Surfeurs de Biarritz, peu importe que leur origine sociale n'ait rien à voir avec la figure du beach bump californien ; le surfeur est cool, c'est inscrit dans ses gènes ;
- le mode de vie alternatif du surfeur voyageur, alors que les premiers surfeurs français voyageaient assez peu, ils vivaient leur passion en marge de leur travail et d'une vie de famille tout à fait classiques ;
- le sociologue Guillaume Guibert explique comment aux balbutiements du surf en France, la presse spécialisée, n'ayant pas grand chose à se mettre sous la dent, piocha dans ses modèles américains pour créer une mythologie du surf français ;
- en complète contradiction avec le concept de liberté, d'absence de carcans du surfeur, le surfeur compétiteur, magnifié par les marques et les magasines de surf ;
- les aspects roots et compétiteurs du surf réconciliées dans les fêtes somptueuses qui suivent le calendrier des étapes du championnat du monde de surf ;
- une certain apologie de la fête, de la bière et des drogues récréatives ;
- le rejet des valeurs marchandes qui n'empêche pas un consumérisme effréné de tout ce qui touche à l'univers du surf, matériel technique, vêtements, produits dérivés ;
- la coolitude du surf, sport et art de vivre, vecteur sans pareil de développement économique sur les côtes du monde entier, devient le sport de bourgeois en guerre contre les surfeurs qui dorment dans leur camion ;
- le surf s'alimente de ses propres contradictions ;
- les nations mères du surf, Hawaï, USA et Australie, inspirent les pratiquants du monde entier ;
- le concept de tribu surf s'effrite devant la multitude de groupes d'individus aux profils variés ;
- des compagnies surf qui radotent indéfiniment les années 1970, à travers des produits marketing issus de cette époque, tel le modèle de la planche Single Fin ;
- la culture urbaine s'invite dans l'éventail des techniques aériennes du surf, directement inspirées du skate ;
- l'esprit du surf, qui n'empêche pas la confection de t-shirts de mauvaise qualité dans des usines délocalisées en Chine et au Bangladesh, ou la violence des célèbres Black Shorts.
Hawaï est LA nation matrice du surf, cela a tendance à légitimer tout ce qui s'y fait : le surf fut la discipline des rois Hawaïens, on pourrait alors interpréter le localisme ici comme une revanche à l'encontre du colonialisme et de la violence qu'il engendra. Toutefois, cette vision candide ne résiste pas devant certains faits : le revival du surf a été impulsé par la présence américaine. Par ailleurs, le club des Black Shorts, créé en 1976, compte parmi ses membres fondateurs un non natif, Américain arrivé tardivement à Hawaï lorsqu'il était adolescent. Les fameux shorts étaient par ailleurs offerts par la compagnie Quicksilver, sans doute pour acheter le droit d'accès au spot lors des compétitions sportives, organisées par une fédération de surf pas si indépendante que ça.
Néanmoins, ce localisme extrême répond à des conditions
extrêmes : des vagues puissantes et saturées de monde, par
conséquent doublement dangereuses. Lorsque les marques de surf font d'un spot une étape des
prestigieux championnats de surf ou le sujet de films, un bout de côte devient populaire
du jour au lendemain et des surfeurs du monde entier s'y ruent comme à la conquête
de l'or. C'est ce qui advint du North Shore. Sans ce regroupement identitaire,
les Hawaïen n'auraient-ils pas été balayés par les hordes d'Australiens,
Hawaïens, Américains, Brésiliens, souvent d'excellent niveau ? La question reste
ouverte.
Le gang des Bra Boys en Australie est connu lui aussi pour
sa brutalité, le surf y est vécu comme un rituel de passage pour éprouver son
courage et la force physique est utilisée pour imposer son hégémonie sur le
spot. Les films qui leur sont dédiés tournent à présent sur le
thème de la rédemption, les Brad Boys devenus fervents défenseurs de la
diversité raciale, dans un pays où le racisme est un fléau. Le bourre pif, nouveau message de paix et d'amour entre les peuples ? Le cas des Bra Boys est toutefois un peu particulier car, issus de
zones urbaines défavorisées, la violence qu'ils expriment dans le surf n'est
que le prolongement de celle qu'ils vivent au quotidien.
Version blanchie des Black Shorts, existent aussi les White
Shorts de l'île Maurice : dans les années 1970, des Australiens découvrirent, dans
la baie de Tamarin, une vague incroyablement longue dont sera tiré un film,
Forgotten Island of Santocha. Introduits par eux à la culture surf, un groupe
de Blancs mauriciens, descendants des colons français, se mit alors à la
pratique du surf. La tradition orale rapporte
que les étrangers, plus aguerris, prenaient toutes les vagues et que les
Blancs mauriciens décidèrent alors dans les années 80 de s'unir pour faire la loi sur
leur spot de surf, le white short comme clin d'œil au modèle hawaïen. Les créoles
mauriciens font également du surf à présent mais ce sont bien toujours les Blancs qui jouent aux White Shorts !
A l'instar des petits et grands
totalitarismes, qui s'exercent par la violence, il est souvent mal aisé de
justifier le localisme, quand bien même il se draperait dans une origine
mystifiée. La thèse qui emporte mon adhésion est plutôt celle du red neck, que
l'on pourrait traduire par "abruti de l'arrière-pays", pour expliquer
le localisme dans le surf.
Cliquez ici pour lire la suite : le localisme à la française !
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