Dans un précédent article, nous avons énuméré les règles de base,
celles-ci permettent aux surfeurs de partager les vagues sans sombrer dans le
chaos et sans se blesser. Ainsi : le surfeur le plus au pic est prioritaire, il
ne doit pas démarrer sur une vague déjà surfée, ne pas taxer, ne pas gêner les
surfeurs plus au large et être responsable de son engin.
Hélas, le surfeur un peu aguerri va tenter souvent d'user et
d'abuser de ces règles, on dit alors qu'il ragasse, snake, fait l'intérieur. A
l'instar du bébé qui veut systématiquement la plus grosse part du gâteau,
certains surfeurs détournent les règles de priorité à leur avantage pour
pouvoir se goinfrer. Le bon sens ne suffisant pas, les règles de base doivent
donc être enrichies de nouvelles règles, sortes d'amendements à la loi.
Prenons l'exemple du code de la route : selon la règle, l'automobiliste
engagé le premier sur un rond point gagne la priorité sur les voitures à sa
suite. Dès lors, à l'entrée du rond point, certains, au lieu de ralentir, vont
accélérer pour forcer le passage. Celui qui respecte la limitation de vitesse,
même s'il était le premier, va devoir piler pour éviter la collision. Ce faisant,
il va s'incliner devant qui se croit plus pressé que les autres, plus chez lui,
plus intimidant ou plus malin. Le plus pressé, plus gourmand, en voiture comme
en surf, va vouloir écraser les autres, sûr de son droit, en s'abritant de
surcroît derrière une règle qu'il aura corrompue.
Être compétitif, on le voit lors des étapes du championnat
du monde de surf, conduit souvent à faire de la règle une utilisation mesquine,
dans le but de défaire ses adversaires. Même alors, les fourberies qui
consistent à pousser à la faute le surfeur non prioritaire sont perçues par la
profession comme une manière peu honorable de remporter la victoire.
Le compétiteur qui commet une faute d'interférence se voit
retirer la meilleure note de la série, souvent cela lui est fatal et il perd sa
série en dépit de ses prouesses sportives. A sa grande frustration, il arrive fréquemment
qu'il soit poussé à la faute par un adversaire mal intentionné. Dans cet
extrait vidéo, Gabriel Medina a la priorité. On observe qu'il vient se coller à son
adversaire et simule une gêne sur une vague à faible potentiel qu'il a prise
uniquement pour provoquer une interférence.
Revenons au free surf : là, les surfeurs en présence sont
plus nombreux, la plupart viennent se détendre et non pas vaincre un adversaire
imaginaire, aussi les comportements de type snaking ne peuvent occasionner que
tensions et débordements.
Classons tout d'abord les vagues en deux catégories : la
vague multipic et la vague parfaite. Leurs particularités permettent
d'illustrer les ajustements nécessaires à certaines règles.
1. La vague multipic
Il arrive souvent sur un beach break que les vagues se
forment à droite à gauche, au petit bonheur la chance. Les vagues peuvent par
ailleurs être de qualité, selon les aléas de la météo.
L'avantage de ce type de conditions, c'est qu'elles tolèrent
un plus grand nombre de surfeurs. Éparpillés sur une surface plus étendue, il
leur suffit de patienter pour qu'une vague finisse par se former à leur hauteur.
Contrairement à la vague parfaite qui possède souvent une seule zone de
take-off, précise et circonscrite, le spot multi-pic offre une multitude de
zones de départ et d'occasions de surfer.
Combien est-il agaçant alors de voir les surfeurs ramer à
droite à gauche, secoués de spasmes, dès qu'ils aperçoivent une ondulation,
alors qu'il leur suffirait d'attendre.
Le deuxième surfeur, frustré de s'être fait piquer la vague,
va lui aussi commencer à naviguer d'un pic à l'autre comme un agaçant petit
frelon et les deux surfeurs vont se faire la guerre inutilement, puisque ils
étaient seulement deux à l'eau !!!
Ou alors, le surfeur refuse de se faire piquer la priorité mais
n'a pas envie de tourniquer frénétiquement autour de son camarade, devenu un
rival, et il va tout simplement le taxer. On appelle cela la pédagogie du
partage.
Parfois, il n'y a pas plus de six personnes à l'eau mais un seul
individu peut dégrader le fragile équilibre au pic.
2. La vague parfaite et la règle du roulement
La vague parfaite est la vague de récif qui lève et déferle
toujours au même endroit. La zone de take-off se situe à un endroit précis,
parfois très réduit, ce qui induit une utilisation raisonnée de la règle de
priorité. Les bancs de sable landais, malgré l'absence de fond rocheux, offrent
fréquemment des conditions de ce type. La vague parfaite permet d'illustrer
admirablement les limites des règles de base du surf. Et d'expliquer les
ajustements qui en découlent.
Premièrement, le point A de la zone de take off est connu de
tous, il est donc facile d'aller se placer au delà de tous les autres surfeurs
pour se mettre en position de priorité. Au delà de ce point, il est difficile voire
impossible de démarrer : techniquement ou physiquement à cause de la présence
d'une falaise ou de rochers.
Rien n'empêche donc un surfeur, techniquement, d'aller se
replacer constamment en position de gagner la priorité alors qu'il vient de
prendre une vague. Si le nombre de surfeurs au point A est trop élevé par
rapport à la fréquence des vagues, les autres surfeurs n'auront pas eu le temps
de prendre leur vague que le ragasseur sera déjà revenu en position de départ
et leur soufflera ainsi chaque vague de la série.
Parfois, un petit groupe de potes va ainsi bloquer le pic :
alternativement, ils vont privatiser la zone de priorité. Cela va conduire les
autres surfeurs à vouloir aller plus loin à l'intérieur pour être prioritaires
et à démarrer au delà de la zone appropriée, ce qui ne leur permettra pas toujours
de passer la première section et de nombreuses vagues seront gâchées.
De plus, pris en tenaille entre deux de ces surfeurs,
constamment replacés au pic, les autres usagers du spot n'auront jamais la
chance d'être prioritaires.
C'est là qu'une règle supplémentaire vient s'appliquer. Spécialement
sur un spot où la vague lève toujours à peu près au même endroit. Un roulement
doit avoir lieu. Le surfeur mieux placé, prioritaire donc, lorsqu'il a pris sa
vague, ne remonte pas immédiatement au pic, il attend que les autres aient pris
à leur tour une vague, avant de revenir se placer à l'intérieur. Au minimum, il
patiente un peu avant de remonter tous les autres surfeurs. Il n'est pas
invisible, personne n'est dupe de son petit jeu égoïste.
Ainsi, à niveau égal, tout surfeur confirmé est en mesure de
chercher la position prioritaire. C'est pourquoi, en compétition, entre
surfeurs d'excellent niveau, un turn over est mis en place à partir de la
première prise de priorité. Quel que soit leur placement sur la même vague, les
surfeurs auront la priorité à tour de rôle.
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